TRENTE-DEUX DESSINS
Livre de 32 pages, octobre 1982, 27 centimètres sur 21 centimètres, imprimé en sérigraphie sur papier offset couché et imprimé en offset sur Ingres école, cousu, couvrure en toile de couleur ocre, premier plat imprimé. Caen. Texte de Martin Ziegler.
Fuzly ; le jour était en train de tomber. Il me demande quelque chose, mais je ne m’en souviens plus, peut-être parce que quelque part c’est irrecevable. En attendant les autres devant la boucherie Simon nous nous mettons d’accord, avarement, sur ce que les mots ne peuvent être. Seule opposition : je réponds à son idée que les mots s’accordent, qu’ils n’accordent rien. Vraisemblablement s’agit-il en ça du dernier hoquet dû à la rareté de nos conversations, hoquet sans importance, n’étouffant ni lui ni moi. Un peu plus tard, noté et aligné en ordre inversé à trois heures du matin : dans le cerveau d’un revendeur de poulet une phrase parmi celles ayant fait la guerre - ne pas se plaindre. Le lendemain, fait un tour ensemble au marché - quelques remarques au milieu des étalages de primeurs à propos des pieds et chaussures des gens. Me dis que le plus souvent je regarde les chaussures quand elles sont en mouvement, donc quand pour une raison ou pour une autre elles fuient quelque part, vers un but plus ou moins précis dans la tête même de leurs porteurs. Des chaussures isolées, posées immobiles dans un coin ou sur le trottoir à côté d’une poubelle - dans l’espoir qu’un moins démuni les enfile sans rancune à l’égard du donateur - me mettent mal à l’aise ; ça ressemble à une absence d’issue. Mais d’autre part la fuite se remarque, et parfois même trop. Une solution - proposée dans un livre portant justement sur les différentes façons d’avancer, de déguerpir - consiste éventuellement à se mettre le doigt dans le cul : quelqu’un qui à le doigt là ou j’ai dit, ne veut pas fuir : quand je passe la frontière, personne ne peut mettre le doigt sur moi, parce que j’ai le doigt dans le cul. Sur le chemin de retour je vois de loin - je ne sais plus quoi, peut-être, comme plus haut, quelque chose d’irregardable, de non-désignable, des mots absents, des évidences troublées, des pas fuyants, de l’inexistant coiffé de raideur, enveloppé de velours râpé jusqu'à la trame, chaussé de daim. Un renversement selon Madame Jullien : Mon cher, mon bon ami, les loups ont toujours dévorés les moutons ; les moutons vont-ils cette fois dévorer les loups ? Je ne sais pas. Soudainement ressenti l’impression d’avoir écrit trois pages entre dernière et pénultième phrase. Martin-Laurent Ziegler
[texte imprimé à la fin de ce livre]
54 exemplaires numérotés, signés.